Nouvelles techniques génomiques, panorama d’une déréglementation - Episode 2 : L’affaiblissement des formes agricoles alternatives

Écrit par David Dupont - relecture Amélie Hallot-Charmasson
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Si le manque de traçabilité des NTG favoriserai leur dissémination dans toutes les pratiques agricoles, affectant leur singularité, l’extension des droits de propriété intellectuelle par la généralisation des végétaux issus de NTG pourrait se traduire par la privatisation du vivant, et donc la remise en cause de la condition de possibilité même des pratiques agricoles alternatives.

L’affaiblissement de la diversité des pratiques agricoles : le problème de la traçabilité des NTG

L’affaiblissement de la diversité des pratiques agricoles est avant tout conditionnée par la possibilité, ou non, de distinguer un végétal issu de NTG d’un autre. En effet, l’une des spécificités forte de l’agriculture paysanne et biologique est sa volonté de rester vierge de tout organisme génétiquement modifié. Aujourd’hui, cela est possible grâce à une réglementation stricte des OGM, qui s’efforce de prévenir toute contamination. Cependant, cette particularité pourrait être remise en cause avec le projet de règlement sur les NTG (voir épisode 1). Dans sa version initiale, celui-ci ne prévoit aucune traçabilité des végétaux NTG de catégorie 1 une fois reconnu comme tels. Seul un étiquetage des matériels de reproduction des végétaux est prévu. Certes, le Parlement européen se montre un peu plus strict et propose, pour distinguer les matériels de reproduction des végétaux et, in fine, les produits issus de NTG des autres, de mettre en place un système de traçabilité documenté par l’étiquetage1. Selon lui, tant les produits NTG de catégorie 1 que ceux de catégorie 2 devront être étiquetés. Mais cette traçabilité requiert, au regard du risque de dissémination de gènes, des techniques de détection adaptées. Si certains scientifiques expliquent que ces techniques existent déjà2, leur position est marginale. Ainsi, deux programmes de recherche ont été mis en place pour permettre l’étiquetage et donc la traçabilité des NTG3. En l’état, et donc en l’absence de consensus scientifique sur la traçabilité des NTG, sa mise en œuvre interroge. Or, si elle ne pouvait l’être, les NTG pourraient proliférer et s’introduire insidieusement jusque dans nos assiettes. L’impossibilité technique de tracer les NTG compromettrait donc le système de traçabilité élaboré par le législateur européen.

L’affaiblissement de la diversité des pratiques agricoles : les NTG en AB

Plus largement, la proposition de la Commission européenne relative aux NTG pourrait se traduire par l’assouplissement de fait du modèle de l’agriculture biologique. En effet, alors même que le système de traçabilité pâtirait, à tout le moins, d’insuffisances techniques, le législateur européen ne prévoit aucune mesure de coexistence permettant d’y remédier. Bien plus, certains Etats membre, à l’instar des autorités danoises, vont même jusqu’à demander qu’il soit possible de cultiver des végétaux NTG de catégorie 1 en agriculture biologique, puisqu’elles estiment que les plantes issus de NTG catégorie 1 sont strictement équivalentes à des plantes issues de sélection conventionnelle. Cette position est d’autant plus choquante que les acteurs même du secteur de la bio, que ce soit les paysan.ne.s que les transformateurs ou les distributeurs, ont a plusieurs reprises exprimé leur opposition à ces nouvelles techniques génomiques…

Jusqu’à la remise en cause de la diversité des pratiques agricoles ? Le cheval de Troie de la brevetabilité

Certes, le Parlement européen, conscient des problèmes engendrés par les droits de propriété intellectuelle en matière semencière, a adopté l’interdiction absolue de breveter tout ce qui se rapporte aux NTG en matière végétale. Selon lui, « les végétaux NTG, le matériel végétal, les parties de ceux-ci, les informations génétiques et les caractéristiques des procédés qu’ils contiennent ne sont pas brevetables ».4 Cette décision est justifiée par le fait que « la possibilité de breveter les nouvelles techniques génomiques et leurs résultats risque de renforcer la domination des multinationales semencières sur l'accès des agriculteurs aux semences. »5 Toutefois, l’organe chargé, à l’échelle de l’Union européenne, d’accorder des brevets, l’Office européen des brevets (OEB), examine avant tout leur conformité à la Convention sur la délivrance de brevets européen (CBE). Il s’agit donc d’une organisation internationale indépendante de l’Union européenne. Ainsi, l’interdiction globale des brevets en matière de NTG ne ressort qu’indirectement de la compétence du Parlement européen. D’autant plus que l’entrée en vigueur du brevet unitaire européen le 1er juin 2023 a accru l’importance de l’OEB, désormais compétent pour délivrer un brevet unitaire européen qui assure une protection uniforme dans les États membres concernés, dont la France. La crainte du Parlement européen pourrait donc, tout de même, advenir.

Jusqu’à la remise en cause de la diversité des pratiques agricoles ? L’extension de la privatisation du végétal

Partant, et au regard des interrogations concernant tant la traçabilité des NTG que leur généralisation, la brevetabilité de fait des NTG pourrait se traduire par une privatisation du vivant. Dans un premier temps, la brevetabilité de végétaux issus de procédés essentiellement biologiques, autorisée par la Grande chambre des recours de l’OEB en 20156, a été écartée par la Commission européenne en 20167. L’OEB est, par la suite, revenu sur la décision de sa Grande chambre des recours en indiquant dans le règlement d’exécution de la CBE que « les brevets européens ne sont pas délivrés pour des végétaux ou animaux obtenus exclusivement au moyen d'un procédé essentiellement biologique »8. Pour autant, « la présence d’un procédé essentiellement biologique d’obtention de végétaux ne suffit pas à exclure ces derniers de la brevetabilité : encore faut-il qu’il constitue le seul procédé utilisé »9. Or, les difficultés concernant la détection des NTG, d’une part, et la dissémination des NTG dans les différentes pratiques agricoles, d’autre part, pourraient se traduire par la généralisation des NTG. Et si l’OEB décidait finalement d’accepter des brevets intégrant des NTG, la proposition de dérégulation des NTG se traduirait par une extension de la privatisation des végétaux.

Notes

1. Voir fiche veille n°4160

2. Y. BERTHEAU, “Advances in identifying GM plants: toward the routine detection of “hidden” and “new” GMOs”, in L. Manning (ed.), Developing smart agri-food supply chains: Using technology to improve safety and quality, Burleigh Dodds Science Publishing, Cambridge, UK, 2022

3. E. MEUNIER, « Traçabilité des OGM/NTG : deux programmes de recherche concurrents », Inf’OGM, 19 mars 2024

4. Résolution législative du Parlement européen, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, 24 avril 2024, article 4 bis

5. Ibid., considérant 1a

6. OEB, Décision de la Grande Chambre de recours, 25 mars 2015, n° G 2/13

7. Commission européenne, avis du 3 novembre 2016

8. Décision du Conseil d'administration de l’OEB modifiant les règles 27 et 28 du règlement d'exécution de la Convention sur le brevet européen (CA/D 6/17), 29 juin 2017, article 2

9. R-M. BORGES. ”Les nouvelles règles de brevetabilité des végétaux à la lumière des modifications du règlement d’exécution de la convention sur le brevet européen”, Propriété industrielle, LexisNexis, octobre 2017, p. 21