La proposition de règlement sur les nouvelles techniques génomiques (NTG) tend à généraliser la dérégulation des végétaux issus de NTG, en allégeant voir supprimant les exigences d’autorisation préalable, de traçabilité et d’étiquetage requises par la réglementation OGM. Cette dérégulation, qui passe notamment par la catégorisation des NTG, marque une rupture avec la réglementation actuelle.
La dérégulation des nouvelles techniques génomiques : une possibilité
Tout d’abord, la dérégulation des nouvelles techniques génomiques n’est pour l’instant encore qu’hypothétique. Le Parlement européen a certes par deux fois1, voté en faveur de la proposition de règlement de la Commission européenne relative aux végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques (NTG)2, texte largement en faveur de la dérégulation de ces techniques,mais le Conseil de l’UE, lui,y est plus réticent.
En effet, et en dépit de la parution en février d’un rapport critique de l’ANSES3 à l’égard de cette proposition de règlement, le Parlement a adopté le 24 avril 2024 la proposition amendée de la Commission avec plus de voix que lors du premier vote. Toutefois, ce double vote témoigne également des difficultés d’adoption de ce texte au Conseil : si le texte a été soumis une seconde fois au vote du Parlement européen, c’est qu’il n’a pas pu être adopté par le Conseil, en raison notamment de craintes relatives à la brevetabilité ou bien encore à la coexistence avec d’autres formes d’agriculture, notamment l’agriculture biologique ou sans OGM. Ainsi, malgré l’opiniâtreté de la présidence belge4 du Conseil, la proposition de la Commission demeure encore à l’état de projet. Plus encore, la présidence hongroise, qui a succédé à la Belgique à la tête du Conseil, a fait paraître un document officieux qui réinterroge un certain nombre de points qui semblaient actés5, comme la catégorisation des nouvelles techniques génomiques, sur laquelle repose la logique même du texte. Il est donc fort probable que les discussions se poursuivent encore un moment à Bruxelles. La lutte contre la dérégulation des NTG a donc encore de beaux jours devant elle !
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Les mécanismes de dérégulation des NTG : la catégorisation
La (dé)réglementation des NTG passe en grande partie par un mécanisme de catégorisation des végétaux NTG. En effet, si la proposition de la Commission du 5 juillet 2023 vise à faciliter la mise sur le marché de certains végétaux issus de NTG, c’est avant tout parce qu’elle établit deux catégories de NTG afin d’en exonérer une de l’application de la réglementation sur les OGM. La proposition établit que « les règles qui s’appliquent aux OGM dans la législation de l’Union ne s’appliquent pas aux végétaux NTG de catégorie 1 »6. Or, si les NTG ne sont pas régis par la réglementation sur les OGM, ils sont déréglementés, c’est-à-dire soumis au même régime que les végétaux conventionnels. C’est pour cela qu’un végétal NTG de catégorie 1 est défini comme un végétal NTG qui « remplit les critères d’équivalence avec les végétaux conventionnels »7. Bref, la catégorisation est le mécanisme principal de la dérégulation dans le sens où elle permet de soustraire certaines NTG à la réglementation sur les OGM afin de leur en fournir une beaucoup plus permissive. Selon les premières estimations, en l’état actuel de la proposition, plus de 90 % des végétaux NTG pourraient rentrer dans le définition des NTG de catégorie 18.
Les mécanismes de dérégulation des NTG : l’harmonisation
Le mécanisme d’harmonisation des règles au niveau européen vient approfondir la dérégulation des nouvelles techniques génomiques. En la matière, l’harmonisation des règles se traduit avant tout par l’impossibilité pour un État membre d’interdire ou de restreindre la culture d’un végétal issu de NTG sur son territoire une fois que ce dernier a été reconnu comme appartenant à la catégorie 1. En effet, ni la Commission européenne, ni le Parlement européen ne ménagent la possibilité pour un État membre de revenir sur l’autorisation accordée pour la culture d’un végétal issu de NTG sur son territoire. Ainsi, seule l’autorité compétente (selon les cas une autorité nationale ou l’EFSA9) peut retirer la décision qu’elle a adoptée, selon certaines conditions. C’est-à-dire que la catégorisation des NTG ne peut pas être remise en cause par les États membres, qui ne peuvent formuler que des « objections motivées à l’encontre du rapport de vérification », portant sur certains critères et justifiées scientifiquement10. Bref, si le mécanisme de catégorisation permet de déréguler certains végétaux issus de nouvelles techniques génomiques, le mécanisme d’harmonisation garantit leur dérégulation sur l’ensemble du territoire européen.
Une dérégulation des NTG en rupture avec la réglementation OGM : la clause de sauvegarde
L’absence de clause de sauvegarde est l’un des ingrédients de la dérégulation des NTG qui témoigne de la rupture avec la réglementation sur les OGM. En effet, la réglementation sur les OGM, issue de la directive 2001/18, prévoit une clause, dite de sauvegarde, qui permet à un Etat membre d’interdire provisoirement la culture ou la vente d’un OGM en invoquant un risque pour l’environnement ou la santé. Actuellement, les organismes issus de NTG – y compris ceux obtenus par des méthodes nouvelles de mutagénèse pour la Cour de Justice de l’Union européenne11 - sont considérés comme des OGM. Le fait que ces organismes puissent désormais être exemptés de l’application de la réglementation sur les OGM, marque donc une rupture dans leur réglementation. Même, le droit de l’Union semble amorcer un changement de trajectoire dans sa politique d’harmonisation. C’est-à-dire que le droit de l’Union a, « depuis longtemps, prévu des mécanismes qui permettent aux États membres de se différencier de l’œuvre d’harmonisation »12 et qui s’incarnaient en matière d’OGM dans les clauses de sauvegarde. L’absence de clause de sauvegarde inaugure donc un tournant non seulement avec la réglementation sur les OGM, mais plus généralement avec la politique d’harmonisation européenne telle qu’elle avait été appliquée jusqu’ici. Il en va de la notion de souveraineté nationale, question qui pour certains Etats comme la Slovénie, justifie leur opposition au texte.
Une dérégulation des NTG en rupture : le principe de précaution
La dérégulation des NTG est également en rupture avec l’application du principe de précaution, sur lequel est basé la réglementation sur les OGM. En effet, la réglementation européenne qui concerne les OGM « est une expression du principe de précaution »13. Or, une telle dérégulation correspondrait à un changement de paradigme dans la réglementation sur les OGM. C’est-à-dire que l’assouplissement de la réglementation des NTG, due notamment à l’assimilation des NTG de catégorie 1 à des végétaux conventionnels, se traduirait par l’affaiblissement notable du principe de précaution en la matière. De son expression « dans différentes procédures d’autorisation préalable, de contrôle et de sauvegarde »14, il résulterait de cette proposition, à tout le moins la disparition des procédures de sauvegarde, et jusqu’à la disparition de mesures de contrôle efficaces. En effet, en l’état, les méthodes de contrôle ne permettraient pas de tracer efficacement les NTG comme en témoigne l’apparition de projets visant à les détecter. De plus, la proposition de la Commission ne propose originellement même pas de traçabilité des végétaux autorisé à la mise sur le marché.
Le principe de précautionLe principe de précaution, apparu dans les années 70 et formellement défini pour la première en 1992 dans la Déclaration de Rio, consiste à prendre des mesures préventives pour éviter des risques potentiels pour l'environnement. C’est-à-dire que l’incertitude scientifique ne suffit pas à justifier l’inaction : des mesures doivent être prises pour prévenir les risques potentiels de dégradation de l’environnement. Ainsi, "l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économique acceptable" (art. L 110-1 du Code de l’environnement). Ces mesures s’incarnent notamment dans des procédures d’autorisation préalable, de contrôle mais aussi de sauvegarde. Il fait partie de l’un des principes fondateurs du droit de l’Union européenne, cité à l’art. 191 du Traité sur le fonctionnement de l’UE1. 1. « La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur. » (art. 191 §2 TFUE) |
A suivre....
Notes
1. Le 7 février 2024 et le 24 avril 2024
2. Voir fiche veille n° 3985
3. Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
4. Confédération paysanne, « OGM : le forcing scandaleux de la présidence belge », 25 juin 2024
5. Voir fiche veille n°4296
6. Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relative aux végétaux obtenus par certaines nouvelles techniques génomiques et aux denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont issus, et modifiant le règlement (UE) 2017/625, 5.7.2023, article 5, 1.
7. Ibid ., article 3, 7.
8. Bohle F, Schneider R, Mundorf J, Zühl L, Simon S and Engelhard M (2024) « Where does the EU-path on new genomic techniques lead us? », Front. Genome Ed. 6:1377117. https://doi.org/10.3389/fgeed.2024.1377117
9. European Food Safety Authority (autorité européenne de sécurité des aliments)
10. Ibid., article 6, 7.
11. Voir fiche veille n°2305
12. E. BROSSET, « L’adaptation du droit français au droit de l’Union européenne en matière de mise en culture d’OGM : regard depuis le principe de précaution », Revue juridique de l’environnement, 2016/3, Volume 41
13. P. THIEFFRY, « Synthèse n° 220 ; Droit européen de l’environnement », JurisClasseur Europe Traité, 15/08/2022
14. Ibid.