Les paysan.ne.s du Réseau Semences Paysannes cultivent depuis de nombreuses années des mélanges de populations, avec des questionnements sur la meilleure manière de sélectionner ces mélanges. Une expérimentation a été conçue afin d'étudier les impacts de certaines pratiques de sélection. Cette expérimentation a été réalisée dans le cadre d'une recherche participative.
Trois modalités de sélection ont été identifiées, et un dispositif expérimental sur trois ans a été co-construit avec les paysan.ne.s. Les pratiques identifiées et testées sont (i) sélectionner dans les populations composantes avant de mélanger, (ii) sélectionner dans le mélange et (iii) sélectionner à la fois avant de mélanger et une fois le mélange formé . Les mélanges obtenus sont comparés au mélange ne subissant pas de sélection massale. Une quinzaine de paysan.ne.s ont participé à l'essai entre 2015 et 2018, et ont créé une vingtaine de mélanges composés de deux à quinze composantes de leur choix. Des mesures ont été faites au champ (hauteur, longueur des épis), et sur les épis après récolte (aspects morphologiques, poids de l'épi, poids de mille grains, taux de protéine).
Pour l’un des paysans participants en Belgique, il s’agit de « sélectionner le mélange de populations qui se plaisent chez lui et qui se comportent bien en interactions entre elles ». Il est « intéressé par la relation des blés entre eux mais aussi avec le cultivateur : bref, comment tu choisis les blés ».
Une autre paysanne participante du Centre, a, quant à elle, « deux préoccupations : la qualité et hauteur des pailles. Il y a probablement plus d’enracinement avec les blés hauts, ce qui est bon pour sol»
Ce protocole a permis aux paysan.ne.s de créer et sélectionner à la ferme une grande diversité de mélanges adaptés à leurs objectifs et besoins : mélange résistant à la verse ou combinant des variétés aux qualités variées comme rendement et taux de protéine par exemple. La comparaison du comportement des mélanges à celui de leurs composantes respectives a montré que les mélanges permettaient des gains sur certains caractères par rapport à la moyenne des composantes (poids et longueur de l'épi, nombre moyen de grains par épi), tout en limitant les risques par rapport au semis d'une unique composante sans connaître les conditions de culture de l'année : très peu de mélanges présentaient des valeurs inférieures à celles de leur composante la plus faible.
Les plantes en mélange avaient tendance à produire plus de grains de plus petite taille. Malgré des pratiques et critères de sélection variés, les paysans ont globalement sélectionné dans les populations et mélanges les épis présentant plus de grains et des grains plus lourds. La pratique de deux années de sélection dans le mélange a permis d'obtenir des réponses plus importantes à la sélection pour le poids de l'épi, la hauteur et le nombre moyen de grains par épi, tandis que pour ces mêmes caractères la diversité du mélange tendait à être mieux conservée en sélectionnant dans les composantes avant de former le mélange.
En général, il y a une limitation des risques par la culture de mélanges : on observe notamment un rendement égal ou supérieur en mélange. Un cultivateur de Rhône-Alpes, qui travaille avec un mélange d’une centaine de variétés paysannes, en témoigne : « une grande diversité veut aussi dire une grande diversité de sensibilité aux maladies ce qui accroît la résistance globale du mélange. Quand il y a une attaque de maladie, elle se propage très lentement ».
Les paysan.ne.s ont confié avoir parfois eu des difficultés dans la sélection soit dans les mélanges (crainte de perdre de la diversité en sélectionnant), soit dans les composantes (choix des plantes à sélectionner moins évident car la diversité phénotypique est moindre).
Ces résultats permettront aux paysan.ne.s souhaitant sélectionner leurs mélanges à la ferme de choisir leurs pratiques de sélection en fonction de leurs objectifs, puisque l'une permet d'obtenir plus rapidement une réponse à la sélection tandis qu'une autre permet de mieux conserver la diversité des composantes. Un travail est en cours pour produire des supports de diffusion des connaissances produites aux associations et paysan.ne.s, et pour co-construire une méthode de conception et de gestion collective de mélanges de populations adaptés aux contextes locaux et objectifs des paysan.ne.s.
Ce type d’expérimentation donne aussi l’opportunité d’organiser des rencontres entre paysans dans une optique d’apprentissage entre pairs. C’est l’occasion de confronter des pratiques et d’aiguiser son regard. Par exemple lors d’une réunion de projet, un paysan dans le sud-ouest, souligne qu’une des variétés utilisées par un collègue dans son mélange n’est pas paysanne : « la variété Bonmoulin, c’est pas vieux ! C’est une variété de 1950 qui est quasi clonale».
Ces réunions associant paysans, animateurs et chercheurs sont aussi l’occasion de faire émerger de nouvelles questions sur lesquelles la recherche peut être sollicitée ainsi que d’améliorer le cadre de collaboration paysan-chercheur. Un cultivateur a ainsi souligné « que les barbes et la courbure de l’épi n’ont pas été sélectionnés très efficacement. Il serait intéressant de savoir quelle attention a été mise par les paysans sélectionneurs sur chaque critère dont on a évalué la réponse à la sélection ». Il s’avère en effet que les critères d’observation et de sélection ont été définis de manière participative il y a plusieurs années. Les nouveaux participants aux essais qui n’ont pas l’historique, ne sont donc pas toujours au courant de l’intérêt que peuvent avoir certains critères, tels que les barbes ou la courbure de l’épi, qui peuvent dès lors sembler comme inutiles et sont donc finalement peu sélectionnés. Un échange sur les raisons de ces choix de critères est donc prévu prochainement….
References
Van Frank G. Gestion participative de la diversité cultivée et création de mélanges diversifiés de blé tendre à la ferme. pHD thesis, Paris-Saclay, 2019.