Retour sur le voyage Erasmus + en Italie du Sud

Écrit par aGuibert
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Dans le cadre du projet Erasmus+ Aprentisem, plusieurs voyage d'échanges sont organisés entre l'Italie, la France et l'Espagne. En juillet 2021 c'était en Italie que se sont retrouvé.e.s les participant.e.s. Marie Lou Thiébot, artisane semencière dans le bocage normand, membre du Réseau Semences Paysannes nous partage son témoignage :

 

Fête des moissons et blés paysans, dans les montagnes de la Campanie italienne dans le massif du Cilento, échanges entre semeur.se.s volontaires d'Espagne, d'Italie et de France.
Cher Erasmus, nous sommes déjà familiers, et une fois de plus je repars des étoiles dans les yeux, le cœur gonflé d'espoir et d'inspirations !

En dehors des découvertes de la gastronomie locale italienne - pour mémoire à base de céréales, huile d'olive et de vigne - le programme s'articulait autour de la semence tout particulièrement celle du blé, les italiens l'appellent trigo, les espagnols garno.
Au programme des cinq jours, ateliers, conférences, échanges, visite du moulin etc. La semaine s'achèvera par la grande fête populaire des moissons, le Palio di Grano
Arrivé.e.s en fin de journée sous un soleil radieux dans le petit village de Caselle, nous sommes chaleureusement accueillis par quelques membres du Rete Semi Rurali et des habitants locaux ! On nous guide vers nos hébergements et on nous donne rendez-vous demain matin pour quelques jours qui s’annoncent riches et intenses !

Photo LucasLucas Worsdell - 2021
8H, petit déjeuner. Bonjour ! Hola ! Ciao ! Hello ! Les langues se mélangent, s’entremêlent, les premiers liens se tissent au cœur de Caselle. Nous rencontrons divers acteurs locaux. On comprend vite qu’une belle énergie collective et intergénérationnelle anime le bourg du village.
Il y a plus de 4 ans Bettina, Giuseppe, Riccardo et Antonio, pour ne citer qu'eux, ont initié la bibliothèque de blé, Biblioteca del grano. D'après les mots d'Antonio, "une bibliothèque de saveurs et de savoirs". Quelques m² de culture in situ de différents blés, du vieux froment au blé moderne industriel, en passant bien évidemment par les populations locales, et quelques orges et lentilles au milieu. Chaque saison, les cultures sont observées, quelques épis sélectionnés et remis en culture. Un parfait exemple d'une gestion collective de biodiversité cultivée Restaurateur.trice.s, chercheurs, boulanger.ère.s, propriétaire de moulin urbain (!), tous et  toutes animé.e.s par les semences et l'envie de transformer ces blés de pays ! Tou.te.s font le choix de travailler avec la farine produite par la petite communauté de Caselle in Pittari, par des agriculteurs.trice.s locaux, dont les terres sont situées à quelques kilomètres autour de Caselle.

La cerise sur le gâteau, la création d'un moulin électrique, dans un local au cœur du village. Projet cofinancé par la communauté religieuse et la banque. De quoi moudre avec Amour et Qualité, les épis cultivés quelques kilomètres alentours.


Dès le premier jour, les italiens nous ont invité à un atelier pain au fournil des donnas ! Les mots me manquent, je voudrais échanger avec elles, leur poser milles questions, pourtant je suis absorbée par leurs mains et surtout leur sourire qui illumine leurs visages brunis par le soleil. J'ai le cerveau en ébullition entre toutes ces langues qui se mélangent, mes yeux sont grands ouverts. Les mains des donnas dansent dans la pâte à pain travaillée à même le pétrin de bois. On nous traduit que la levure utilisée est directement héritée de leur propre mère, comme le veut la tradition locale ! Des bactéries centenaires ! Les donnas apprécient la qualité de la pâte, lorsqu'elle leur convient elles l'emmaillotent au chaud pour une petite heure... Pendant ce temps, les fagots sont chargés dans la petite fourgonnette au moteur de scooter, l'api, et directement allumés dans le four à pain. Tous les sens sont en éveil dans ce fournil !

34DB.tmp 2RSP - 2021

J'ai particulièrement à cœur de vous partager cette expérience humaine forte avec les donnas. En plus d'être unique, elle est à mon sens fondamentale, essentielle. J'entends par là que le savoir-faire manuel, celui qui est concentré dans nos mains, ne se transmet que par ce genre d'activité. Au delà des mots, des langues respectives, des livres.
Les donnas ne font usage d'aucun outil pour façonner ce pain, seul leur sens, leur expérience, celle de leurs doigts, de leur toucher, leur observation sont utiles. Alors que notre société occidentale est largement fondée sur le savoir libro et logocentrique ( « libro », les livres/théories écrites, et «logo », la vue/les images), il me semble pertinent voire essentiel de valoriser une autre forme de savoir :l'intuitif, l'empirique, celui ancré dans nos mains, qui se transmet en faisant.

 J'élargirais cette réflexion à la production de semences, en tant qu'artisane-semencière. Au delà de la production en tant que telle, je passe de nombreuses heures avec les jardiniers de mon bocage normand. Ils ont toujours cultivés avec soin leur jardin vivrier. Or nos échanges sont font écho à cette atelier avec les donnas italiennes.
Leurs sens, leurs savoirs empiriques du potager est exclusivement basé sur l'observation aiguisée de la météo, des oiseaux, des plantes sauvages (celles qui poussent dans leur potager sont même traitées d'ordures !). A mon sens, ces anciens méritent toute notre attention, leur connaissances sont à préserver, à valoriser, et renouveler en parallèle des nouvelles sciences agronomiques. Réflexion qui fait écho aux mots d'un professeur d'anthropologie lors d’un atelier à Caselle: "la modernité n'existe pas sans lien à la tradition".

Et puis, notre séjour se clôture sur la grande fête populaire locale, Palio del Grano. Depuis quelques années à Caselle de Pittari, sous le soleil brûlant de juillet, les différents barios (quartiers) sont en ébullition.IMG 0832Marie Lou Thiebot - 2021

La population locale, de tout âge, s'échauffe, aiguise les lames de leur faucille, prépare les miches de pain et barils de vin. Tout ça, en prévision de la compétition annuelle de fauche du blé à la main, qui clôture ces quelques jours de Fête des moissons, traditionnelle et populaire. Distingué par les couleurs de leur drapeau, chaque quartier s'organise en équipe, des faucheurs.euse.s et des petites mains pour assembler les gerbes et les empiler correctement. Mais la rapidité ne fait pas tout, la coupe franche et précise, ainsi que le "rangement" des gerbes sont de rigueur ! Cette année, l'orage aura modifié la date initialement prévue. Alors qu'habituellement, près de 2000 personnes se déplacent, la fête a finalement lieu en "petit comité", ce qui nous laisse la chance également à nous, espagnols, italiens et français non natifs de Caselle, de participer à l'épreuve ! La cloche sonne, les faucheurs s'élancent, les petites mains encouragent et se saisissent de leurs ficelles pour former les gerbes. Lorsque la première équipe plante son drapeau dans la pille de gerbes, l'épreuve se poursuit, bonne enfant, chacun termine son ouvrage. S'en suit une généreuse collation, et la moissonneuse batteuse s'approche., Tout le monde s'active à aligner les gerbes pour que la moissonneuse puisse récupérer le grain, alors que les enfants courent dans la paille qui est séparé des grains. L'orage n'est pas encore là, mais les nuages sont menaçants. La musique populaire, jouée notamment par des jeunes de Caselle anime les festivités !

 Photo Lucas 3Lucas Worsdell - 2021

Les mots qui vibrent en moi au retour de ces cinq jours sont tous plus excitants les uns que les autres : solidarité, inspiration, confiance, partage, inter-génération, économie circulaire, langue universelle, et de manière global, respect du Vivant.

Un grand merci à la chouette équipe du RSP, ainsi que celle du Rete Semi Rurali, pour l’organisation de ce superbe voyage. Ces aventures humaines sont à mon sens tellement inspirantes et nourrissantes ! Elles sont à préserver, diffuser et renouveler, tout comme la diversité cultivée dans nos champs et jardins, et ses savoirs associés !

Retrouvez encore d'autres photos sur la page Palio Del Grano

Pssst, il parait que la prochaine rencontre Erasmus + aura lieu dans le Pays Basque, côté français au début du mois de mai