Ça y est, la Commission européenne a officiellement lancé le processus de réforme des douze directives qui forment le droit européen de la production et commercialisation des semences et plants.
Sur demande du Conseil des ministres de l’Union européenne1 et après un processus consultatif somme toute assez restreint2, elle a publié le 29 avril 2021 une étude sur l’état de cette réglementation et sur les options envisageables afin de l’adapter aux « nouveaux enjeux qui traversent le secteur semencier et l’agriculture européenne »3.
Après avoir dressé plusieurs constats (manque d’harmonisation dans la mise en œuvre de la réglementation, procédures d’enregistrement des variétés et de certification des semences coûteuses et peu adaptées aux variétés locales ou destinées à l’agriculture biologique, etc.), la Commission présente quatre scénarios de réforme possibles4. Sur la base de l’une de ces options, elle soumettra aux législateurs européens un projet de réforme législative d’ici le dernier trimestre 2022. Plusieurs propositions sont communes aux quatre options identifiées (options 0, 1, 2A et 2B).
D’abord, « mettre en cohérence » - terme relativement imprécis - le droit européen des semences avec les réglementations relatives à la santé des plantes, aux OGM et à l’AB, afin d’éviter les contradictions et les doublons.
Ensuite, « renforcer l’efficacité » des systèmes d’enregistrement des variétés, de certification, d’inspection, d’étiquetage et de traçabilité des semences et plants via l’utilisation massive des nouvelles technologies génétiques (biologie moléculaire) et numériques. Pour exemple, des projets sont en cours au sein du Groupement français d’étude et de contrôles des variétés et semences (GEVES) qui portent sur l’emploi de marqueurs moléculaires sur des espèces légumières. L’objectif poursuivi est d’optimiser sur le terrain les essais de variétés, en réduisant le nombre de variétés témoins à implanter et ainsi accélérer les « examens DHS » (Distinction, Homogénéité, Stabilité), préalables à l’enregistrement d’une variété végétale au Catalogue officiel5. La Commission souhaite donc promouvoir de telles initiatives et les généraliser (malgré les questions qu’elles soulèvent, comme par exemple la confidentialité des informations moléculaires recueillies).
Enfin, elle veut adapter la réglementation semences aux objectifs inscrits dans le « Pacte vert européen »6 et dans les stratégies « De la ferme à la fourchette »7 et « Biodiversité 2030 »8 ainsi que dans son nouveau plan d’action sur le développement de l’agriculture biologique9 (notamment faciliter l’enregistrement des variétés traditionnelles et des variétés destinées à l’AB). Mais comment souhaite-t-elle s’y prendre ? L’étude se borne à évoquer l’adoption de « mesures sur la conservation et l’utilisation des ressources phytogénétiques, la protection de la biodiversité, l’atténuation du changement climatique et la disponibilité des variétés adaptées à l’AB », sans plus de précisions... Elle affirme néanmoins que des examens et protocoles d’essai spécifiques pourraient faciliter la commercialisation de mélanges variétaux et de matériaux hétérogènes (alors que les dispositions réglementaires actuelles sont essentiellement orientées vers des espèces pures ou des variétés distinctes, homogènes et stables).
Outre ces propositions communes, les quatre scénarios développés dans l’étude présentent chacun des spécificités. L’ option 0 n’envisage qu’une modification à minima des textes des directives européennes existants.
L’option 1 vise, elle, à simplifier les procédures d’enregistrement des variétés, de certification des semences et de contrôle. Comment ? D’une part, en créant un système de contrôle fondé sur le risque (les contrôles de la production et de la certification des semences et plants ne seraient plus systématiques et homogènes, mais proportionnés au « risque réel » de fraudes à la réglementation). D’autre part, en modifiant les modalités du contrôle lui-même : les producteur.trice.s ou vendeur.se.s de semences s’auto-évalueraient et l’autorité publique n’interviendrait que pour s’assurer que l’auto-contrôle se déroule conformément aux prescriptions réglementaires. Ce « mécanisme d’auto-contrôles sous contrôle officiel » est présenté comme une « simplification » par la Commission. Or, un tel système, qui implique une augmentation de la bureaucratie et des audits internes, ne profiterait qu’aux gros opérateurs industriels…
Outre cette « simplification » des procédures, l’option 2A propose en plus de limiter le champ d’application des directives à la seule commercialisation aux opérateur.trice.s professionnel.le.s. La réglementation ne s’appliquerait donc pas à la vente de semences et plants aux jardinier.ère.s amateur.trice.s. En outre, un « cadre législatif ad hoc » serait mis en place pour encadrer l’échange de semences entre agriculteur.trice.s (sans en préciser toutefois les détails…).
Au contraire, si l’option 2B était choisie, la réglementation continuerait de s’appliquer à tous les marchés (utilisateur.trice.s finaux.ales, professionnel.le.s ou non, échanges entre agriculteur.trice.s). Elle s’appliquerait aussi de manière stricte et uniforme à tous les États membres, sans que ceux-ci puissent aménager des régimes dérogatoires au niveau national. Le choix de cette dernière option conduirait donc à imposer un carcan réglementaire à tous les échanges de semences dans l’UE. Enfin, dans cette dernière option, la Commission envisage d’intégrer la réglementation semences à celle sur les contrôles officiels10.
Le 26 mai 2021, les ministres de l’Agriculture des vingt-sept États-membres de l’UE ont réagi à l’étude de la Commission11. Une majorité d’entre eux sont favorables à une révision du droit européen sur les semences. Les avis divergent toutefois sur la nature plus ou moins substantielle de la révision à apporter12. La question du champ d’application de la réglementation a également été évoquée. L’Irlande et l’Autriche demandent à ce que les règles découlant du droit européen sur les semences ne s’appliquent qu’aux utilisateur.trice.s professionnel.le.s et non au marché des jardinier.ère.s amateur.trice.s. Mais seul le Luxembourg a appelé à « trouver des solutions pragmatiques pour l’échange direct entre agriculteurs ou particuliers, et pour les semences reproduites à la ferme ». L’option 2A proposée par la Commission dans son étude pourrait permettre la mise en place d’un tel cadre légal dérogatoire au profit des agriculteur.trice.s. Mais que l’on ne s’y trompe point : garantir les droits des paysan.ne.s sur les semences ne semble pas être une des priorités de la Commission. Les assouplissements envisagés pour l’enregistrement de variétés locales, voire de « matériel hétérogène » visent dans l’esprit de la Commission plus à lutter contre un soit-disant « marché parallèle frauduleux » (c’est ainsi qu’elle qualifie la circulation des « semences alternatives », non certifiées et issues de variétés non enregistrées) et à le normaliser qu’à favoriser la biodiversité cultivée… Dans une réponse à une lettre récemment envoyée par une coalition européenne de réseaux militants (dont le Réseau Semences Paysannes)13, la Commission a ainsi rappelé le caractère non contraignant de la Déclaration de l’ONU sur les Droits des Paysans.ne.s (UNDROP), qui contient des dispositions relatives au droit aux semences14...
Et maintenant ? Zoom sur le calendrier politique européen La Commission européenne veut aller vite, très vite. Elle a publié une première étude d’impact le 15 juin 2021, actuellement soumise à consultation publique15. Elle enclenchera ensuite une autre phase de consultation de novembre 2021 à février 2022 et publiera une seconde étude d’impact en avril 2022 (notons que la République tchèque lui demande de réaliser, en sus, une étude d’impact spécifique sur le matériel de reproduction des végétaux destiné à l’agriculture biologique). C’est sur cette base que la Commission soumettra aux législateurs européens une proposition de réforme au dernier trimestre 2022. Ce calendrier est particulièrement serré. La Commission entend boucler cette réforme avant la fin de son mandat et les prochaines élections européennes de mai 2024. Surtout, elle souhaite la mener de front avec une autre réforme lancée de manière concomitante : celle du droit européen sur les OGM16. |