Le 7 mai 2021, la Commission européenne a enfin publié le règlement délégué sur la production et commercialisation de semences et plants de matériel hétérogène biologique (MHB)1.
Celui-ci - qui doit être entériné par le Parlement européen et le Conseil des ministres de l’UE - vient définir un certain nombre de règles d’application du nouveau règlement européen n°2018/848 sur l’agriculture biologique qui entrera en vigueur le 1er janvier 2022.
Le matériel hétérogène biologique constitue une nouvelle catégorie juridique visant à élargir l’offre commerciale développée et sélectionnée spécifiquement pour l’agriculture biologique, en donnant accès aux agriculteur.trice.s à des semences biologiques de populations hétérogènes. Le MHB échappera à l’obligation d’inscription au Catalogue officiel des variétés végétales, et donc aux « critères DHS » (Distinction, Homogénéité et Stabilité) qui y sont associés2. Afin de commercialiser des semences de MHB, il suffira d’inscrire le matériel sur une liste ad hoc qui sera établie au niveau européen. Il faudra cependant respecter les règles contenues dans ce nouveau règlement délégué, ainsi que la réglementation européenne sur la santé des plantes et certaines obligations découlant de la réglementation sur la production et commercialisation des semences commerciales3. Les paysan.ne.s qui accepteront de se soumettre à ces règles pourront donc vendre des semences de populations en tant que « matériel hétérogène biologique ».
De la possibilité de vendre des semences de populations hétérogènes
Le 30 octobre 2020, la Commission avait d’ores et déjà soumis à consultation publique une version quasi-définitive du projet de règlement délégué4. Cinquante contributions écrites lui avaient été transmises5, qu’elle affirme « avoir prises en considération lors de la rédaction du présent règlement délégué »6. Le texte définitif dévoilé le 7 mai est pourtant sensiblement identique à la version du 30 octobre 2020 : les règles de notification, de description du MHB, de son mode d’obtention et de son matériel parental, l’obligation de maintien du matériel (uniquement « quand cela est possible ») et les obligations en terme de taux minimal de germination, de pureté spécifique, d’emballage, d’étiquetage7 et de traçabilité des semences de MHB restent inchangées8. À noter que les quantités maximales de semences pouvant bénéficier du régime simplifié des « petits emballages » n’ont pas été modifiées elles non plus. Elles restent relativement conséquentes pour des jardinier.ère.s, mais pénalisantes pour des agriculteur.trice.s9.
Quelques modifications ont toutefois été apportées. Il est ainsi précisé que le MHB peut être obtenu par croisement, mais aussi par « multiplication de matériel parental, réensemencement répété et exposition du stock à la sélection naturelle et/ou humaine ». Il s’agissait là d’une demande formulée par différents collectifs au niveau européen (notamment l’association autrichienne Arche de Noah et la Coalition européenne Via Campesina) afin de permettre aux paysan.ne.s d’utiliser ce nouveau régime pour échanger ou vendre des semences de populations.
En outre, certains contrôles officiels visant à garantir le respect des règles de production et de mise sur le marché du MHB ne seront pas systématiques mais fondés sur le degré de risque réel de fraude10. Quant aux essais réalisés afin de contrôler le taux de germination et la pureté spécifique des semences, ils seront, eux, réalisés conformément aux méthodes de l’Association Internationale d’Essais de Semences (connue sous son sigle anglais ISTA - International Seed Testing Association).
Enfin, la principale nouveauté introduite dans le texte réside dans la création d’un régime d’exemption en faveur de la recherche-expérimentation : les échanges en « quantité limitée » de semences de MHB pour la recherche ou la sélection ne seront pas soumis aux obligations contenues dans le règlement délégué (notification, description, pureté, emballage, étiquetage, etc.). Toutefois, aucune précision ne permet pour l’instant de savoir si cette dérogation pourra profiter aux activités de recherche et de développement réalisées dans les conditions réelles de culture du MHB, autrement dit à la ferme, dans les champs, avec une valorisation économique des produits issus de cette mise en culture...
MHB : synonyme de développement de l’AB ? Des semences paysannes ? Ou d’ouverture aux biotech ?
Le Parlement européen et le Conseil des ministres de l’Agriculture de l’UE ont maintenant jusqu’au 7 août 2021 pour soulever d’éventuelles objections au texte, avant son entrée en vigueur au 1er janvier 2022. C’est donc au tour des syndicats, collectifs et réseaux paysans de mener une réflexion collective sur ce nouveau régime juridique.
Qui sert-il ? Certain.e.s artisan.ne.s semencier.ère.s y voient une opportunité d’inscrire leurs ventes de semences et plants de populations paysan.ne.s dans un nouveau cadre légal « simplifié ». Mais si certaines techniques nouvelles de modification génétique étaient complètement déréglementées et exemptées de la réglementation OGM11, l’industrie des biotechnologies pourrait aussi y trouver son compte, en vendant en tant que MHB des semences de végétaux non stabilisés issus de manipulations génétiques et ne respectant pas les critères DHS qui conditionnent l’enregistrement des variétés végétales au Catalogue officiel. Alors, réelle avancée pour la circulation des semences adaptées à l’agriculture biologique ou porte d’entrée des biotechnologies ?
Certain.e.s y voient principalement un outil de normalisation du marché « alternatif » des nouvelles semences et mettent en garde contre une confusion entre les termes de « matériel hétérogène biologique » et de « semences paysannes », qui recouvrent des réalités bien différentes12.