" Le paysan a perdu sa mission: faire à manger. Il est devenu un producteur de monnaie. La monnaie n'a pas de valeur véritable puisqu'elle peut être réévaluée et dévaluée. Le blé, le vrai, pas le trompe-goût qui n'a qu'une valeur commerciale, a toujours la véritable valeur du travail, de la terre, de son histoire et de la nourriture...
Lorsque je donne de la semence, je gère, je transmets, je partage sa véritable valeur. Certains ne comprennent pas cela ou le comprennent trop tard. Ils ne portent pas suffisamment d'attention à l'accompagnement de cette semence et la perdent en même temps que sa valeur. D'aucun dirons « ce n'est pas si grave que cela puisqu'ils peuvent te dédommager avec de la monnaie ». Ceux-là aussi, ne voient donc pas la vraie valeur. Plus certains paysans voient la valeur monnaie et sa facilité, moins ils voient la vraie valeur de la semence. Ils pensent qu'ils peuvent tout acheter avec la monnaie mais ils en développent une soif infinie d'acheter, de posséder, d'accumuler des terres, du matériel, des bâtiments. Cette soif ne peut être étanchée car consciemment ou non, elle est une soif de vérité, de sens. Ils tentent de calmer leurs frustrations de vérité par le pouvoir de la monnaie. Peine perdue, la valeur du blé ne se monnaye pas, ne se vend pas, elle se partage !
Bien sûr elle peut s'échanger contre une infime part de sa valeur en monnaie mais, surtout, contre la prise de conscience de sa véritable valeur faite de responsabilité et de liberté. Quelle est la vraie valeur du Barbu de Lacaune, du blé fin de Tauriac, du Castelnau de Montmirail, de la Bladette de Puy-Laurens ?
- La première est sa valeur nourricière, pas la somme des kilo-calories, des glucides, lipides et autres éléments constitutifs, c'est la valeur de sa complexité, de sa diversité et singularité, de son harmonie.
- La seconde valeur est celle de son âge, de la transmission de sa nature chaque saison renouvelée et adaptée depuis des siècles. En gardant son intégrité, le blé est la somme de ces ans ainsi que le partage entre les ans.
- La troisième est celle de l’héritage humain, la valeur du travail des paysans ajoutée années après années, leurs peines ajoutées, leurs attentions, leurs volontés de bien faire, leurs ténacités contre l'adversité, la conscience de leurs responsabilités envers leurs ancêtres et leurs descendances, envers leurs prédécesseurs et leurs suivants.
Voila la valeur véritable du blé qui nous nourrit."
Daniel Coutarel (paysan, association Pétanielle et administrateur du RSP). A l'éclairage de Jean Giono (Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix 1938). Août 2019.