L’association Triticum conserve une collection de 150 céréales de pays qui sont mises à disposition de filières locales (farine, pain, bière, whisky). Des essais sont menés avec Bio en Normandie.
Des blés « gros bleu », « rouge de Lozère », « poulard des Asturies » ou « barbu du Mâconnais » côtoient l’amidonnier noir du Gers, du petit épeautre, du grand épeautre, des orges, des seigles, des avoines… Sur 5 000 m², une centaine de variétés de céréales anciennes, dites « de pays », sont cultivées à Roncherolles-sur-le-Vivier, à 10 kilomètres à l’est de Rouen. « Ces semences datent d’avant la Première Guerre mondiale » , explique Simon Bridonneau, président de Triticum.
Rustiques et peu exigeantes en intrants, ces variétés possèdent une « grande diversité génétique qui les rend adaptables aux terroirs, aux pratiques paysannes ainsi qu’aux changements climatiques. Elles sont une clef de voûte pour assurer la souveraineté alimentaire des populations au sud comme au nord. »
« Des qualités que n’offrent pas les blés modernes »
Depuis 2019, l’association normande s’est organisée en maison des semences paysannes, réunissant des paysans-boulangers, meuniers et consommateurs militants, sur le modèle de Triptolème, en Bretagne, ou encore de Graine de Noé, en Franche-Comté. Triticum conserve une collection de 150 variétés anciennes de céréales à paille. Reste à identifier celles qui seront les plus adaptées aux terroirs locaux.
C’est l’objectif des essais menés sur des parcelles d’1 à 100 m² dans un champ prêté par Carole Debruyne-Delattre, la présidente de Bio en Normandie. Après un unique labour, les céréales ont été semées le 5 novembre. « En sortie d’hiver, les blés « rouge de Saint Laud », « rouge de Lozère » ou « rouge de Bordeaux » sont les plus beaux » , indique Benoît Coiffier, conseiller « grandes cultures » à Bio en Normandie. « Mais on se donne trois à cinq ans avant d’exclure un blé. » Les variétés anciennes laissent espérer des rendements d’au moins 40 quintaux à l’hectare. Contre une centaine en conventionnel. « Sur nos essais, nous comptons 350 épis au mètre carré contre 800 épis avec un blé moderne » , précise Benoît Coiffier. « Mais les blés anciens ont conservé une puissance génétique qui développe des qualités organoleptiques (goût, odeur) que n’offrent pas les blés modernes » , affirme Simon Bridonneau.
De l’orge pour le whisky
« On essaie de ramener de la biodiversité dans les champs et d’œuvrer à la résilience alimentaire dans la région. » L’association fait vivre sa collection de céréales à paille en la ressemant chaque année. Mais, sur ces terres limoneuses très fertiles, les céréales sont le plus souvent cultivées pour l’exportation. Les céréaliers recherchent les volumes. Avec comme atout économique : la proximité du port de Rouen. Problème : les blés à fort rendement sont aussi plus sensibles aux maladies et ravageurs. Ils consomment des produits phytosanitaires et beaucoup d’engrais azotés dont le coût varie avec le prix (toujours plus élevé) de l’énergie.
À l’inverse de ces blés sélectionnés génétiquement pour l’agro-industrie alimentaire, les blés « de pays », fruits de siècles de sélection massale (les graines des meilleurs épis sont utilisées pour semer la culture suivante), sont libres de droit. Ces céréales anciennes sont mises à disposition des filières locales pour la production de farine, pain, bière et même whisky. « Des producteurs de Calvados se mettent au whisky. Ils ont besoin d’orges de terroir. » Triticum en conserve dix-huit variétés différentes. Quant aux blés, les essais portent sur soixante et une variétés. De plus en plus de fermes développent des ateliers de meunerie. Ce sont des petites exploitations extrêmement rentables. « Les blés anciens se négocient 700 € la tonne, les farines en gros 2 000 € et 2 500 € pour les magasins bio, le kilo de pain se vend 7 € à 10 €… »